03/08/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

En remontant l'histoire de la porcelaine fine

02/07/1984

 

 

 

 

 

 

 

 

Détail d'une coupe en porcelaine.

Suivant la route indiquée au télé­phone par M. Tsaï Siao-fang, notre voi­ture s'engage sur une petite route de campagne vers les collines de Peitou dans la périphérie de Taïpei. Après avoir monté une pente assez raide, nous dé­bouchons en face d’une villa dont les murs sont couverts de vigne vierge. Trois enfants qui ont été confinés chez eux pendant une semaine par les pluies de printemps profitent de ce dimanche ensoleillé pour s’ébattre sur le gazon ver­doyant. L'aîné détale vers la maison et quelques instants plus tard M. Tsaï Siao­-fang, propriétaire de la poterie d’art Siao­-fang, apparaît sur le seuil, les yeux encore ensommeillés et les cheveux en bataille. «Excusez-moi, je me suis couché à trois heures ce matin pour faire cuire des porcelaines ... »

M. Tsaï Siao-fang appelle son assis­tant M. Lin Tchou pour qu’il nous fasse visiter l’usine et il promet de nous re­joindre un peu plus tard. L'usine est située sur une colline et, sous la conduite de M. Lin Tchou, nous grimpons les marches de pierre qui nous amènent aux fours à gaz. Il y a différentes tailles de fours qui sont utilisés pour des produc­tions différentes. A côté du plus grand ont été empilées des poteries à passer au four et d'autres déjà cuites. Certains vases en terre ont presque un mètre de hauteur. «Pour réaliser de telles pièces, nous fabriquons les parries séparément, puis nous les assemblons avec une colle spéciale. Le problème le plus délicat est celui de la cuisson avec des modifications inaffendues des couleurs dans le four. Cela a été un échec la dernière fois; mais cette fois, je crois que tout ira bien.» Comme je lui de­mande où l'on peut poser des vases de telle taille, M. Lin Tchou me répond à mon grand étonnement qu'un prince d'Arabie saoudite les a commandés.

Dans la salle de peinture, la radio dif­fuse de la musique classique chinoise. Cinq hommes et trois jeunes femmes exécutent sur les poteries des motifs qu’ils tirent de livres de référence. Puis ils se mettent à vernir leurs pièces brutes sur un socle tournant. «Pour ce qui est des idées et de l'inspiration, nous avons des éta­gères pleines de livres. Généralement, nos décorateurs dessinent d'abord rapidement au crayon les motifs (dragons, poissons, fleurs), puis ils les peignent avec toutes sortes de pigments », nous explique M. Lin Tchou.

Dans un autre coin servant d'entre­pôt, les poteries inachevées sont alignées telles des soldats montant la garde. M. Lin Tchou nous fait remarquer que pour l'instant, ces objets n'ont rien d'extraordinaire. Mais bientôt ils brille­ront de couleurs éclatantes et feront l'ad­miration de tous.

C’est alors que M. Tsaï Siao-fang nous appelle. «Venez, asseyons-nous et discutons un peu.» Dans la salle d'exposi­tion, le soleil déjà chaud entre à flots par la fenêtre, faisant étinceler les poteries disposées d'un bout à l'autre de la salle. M. Tsaï Siao-fang nous décrit la longue histoire de la procelaine chinoise en y mêlant des épisodes de sa vie. Si l'on en croit les sources historiques, la poterie existait déjà en Chine six mille ans avant J.-C. Les Chinois se servaient de vases, de bols et de pots en terre dans la vie cou­rante. Malheureusement leurs objets, réalisés en argile brute et chauffés à faible température, ne duraient guère et aujourd’hui il ne reste que peu de pièces datant de cette époque. A la fin de la dy­nastie Han (206 av: J.-C. - 219 ap. J.-C.), la porcelaine fit son apparition. Les objets réalisés en argile moins grossière et aux formes élaborées, étaient décorés avec beaucoup de soin, puis couverts d'un vernis éclatant et durcis finalement par des méthodes de cuisson très compli­quées. Ces chefs-d'oeuvre en porcelaine chinoise sont devenus célèbres dans le monde entier. «Quant à moi, dit-il, il y a vingt ans en jouant par hasard avec une pièce en porcelaine, j'ai été fasciné par son éclat et j'ai décidé de consacrer le reste de ma vie à la poterie.»

M. Tsaï Siao-fang venant de terminer ses études d'ingénieur-électricien ne connaissait alors rien à l'art de la poterie. Mais par la suite, comme il cherchait du travail, il alla se présenter au Centre de production de porcelaine pour apprendre les techniques de base et commença à prendre goût à son travail.

Présenté ensuite par l'association pour les échanges techniques nippo-taïwanais, M. Tsaï Siao­-fang put se rendre au Japon pour étudier l'art de la fabrication de la porcelaine. Et deux ans plus tard, à son retour à Taïwan, lui et sa femme fondèrent leur propre entreprise de poterie.

Les méthodes utilisées pour produire la porcelaine sont fondamentalement les mêmes. Il s'agit de choisir l'argile et de la mouler, puis de peindre et de vernir la pièce avant de la cuire au four. Ce qu’il y a de plus fascinant dans ces travaux, c'est qu’à tout moment peuvent s'opérer des changements absolument imprévisibles. «Même aujourd'hui, avec toutes ces tech­niques modernes, je ne peux pas dire que je contrôle vraiment tous les éléments.» M.Tsaï Siao-fang poursuit en désignant des porcelaines rouge foncé disposées sur l'une des étagères: «Elles ont toutes été vernies au rouge foncé, mais leurs cou­leurs sont différentes, certaines sont plus foncées que les autres. Et parfois durant la cuisson, le rouge au niveau des bords du vase pâlit à moins qu'il ne se concentre à la base. En fait, c'est le rouge des pêchers en fleurs qui est en général considéré comme un chef-d'oeuvre de couleur.»

La porcelaine chinoise couvre deux mille ans d'histoire, depuis la dynastie Han jusqu’à en passant par les dynasties Wei du Nord et Tsin du Sud et par les dynasties plus brillantes Tang, Song, Yuan et Ming. A chacune de ces époques, les porcelaines avaient des ca­ractéristiques particulières. Par exemple, celles de l'époque des Han étaient toutes dans les tons verts et gris. Sous les dynas­ties Wei du Nord et Tsin du Sud, les pre­mières méthodes de raffinage apparu­rent. On apporta des améliorations aux fours en contrôlant les impuretés lors de la cuisson et l'on commença à choisir les argiles suivant des critères donnés. Les porcelaines blanches, vertes et noires étaient alors des pièces très prisées.

«Il ne faut pas mépriser la porcelaine noire, nous dit M. Tsaï Siao-fang en indi­quant une urne noire de de largeur mise au rebut. C'est un échec navrant. j'avais fait de nombreux essais avant de la cuire.» Sortant alors de petits échantillons de couleurs rangés du brun foncé au noir ébène, il ajoute: «Le problème le plus diffi­cile est de pouvoir obtenir ce noir ébène avec de beaux reflets. Cette urne était un essai. Malheureusement, je crois que sa coque en terre était trop mince et à la dernière étape, elle s'est fissurée au centre. C'était une imi­tation d'une urne à neuf dragons de la dy­nastie Wei du Nord.»

Pour le vernis blanc, plus l'argile est pure, plus la porcelaine est blanche. Si l'argile contient plus d'un pour cent de fer, la poterie aura une teinte grisâtre. A la fin de la dynastie Tsin du Sud, les por­celaines étaient d'un blanc immaculé. Les potiers de l'époque savaient contrô­ler la pureté de l'argile et l'intensité de

M. Tsaï Siao-fang a produit un en­semble à thé en porcelaine blanche qui a gagné le deuxième prix au concours d'ar­tisanat de Taïwan l'année dernière. «La majeure partie de mon oeuvre consiste à re­produire des poteries anciennes. J'essaie de copier le plus fidèlement possible ces chefs­-d'oeuvre du passé. Mais je cherche égale­ment à créer des objets qui soient fidèles à la fois à ancienne et à mo­derne. Pour fabriquer les ustensiles cou­rants, nous utilisons des techniques an­ciennes non pas par nostalgie mais parce qu'elles conviennent parfaitement aux be­soins actuels. Les techniques développées sous les dynasties Wei du Nord et Tsin du Sud sont à l'origine de l'art de la porcelaine de l'époque Tang où la porcelaine blanche a atteint son summum de perfection gagnant le surnom de faux jade.»

Sous la dynastie Song, l'art de la por­celaine atteignit un degré de maturité lorsque le gouvernement impérial com­mença à acheter des objets en porcelaine. La mise en marche de fours de grande re­nommée comme les fours de Ting, Kouen, Tchouen et Yeou a grandement contribué à l'épanouissement de cet âge d'or de la porcelaine.

Le four de Ting situé au nord de la province du même nom à l'époque était célèbre pour son vernis blanc éclatant de lumière passé sur une surface portant des motifs gravés au couteau ou à l'ai­guille. La spécialité du four de Yeou était une porcelaine verte, cuite avec beau­coup de soins pour contrôler l'oxyde de fer dans le vernis. Cuite trop longtemps, la porcelaine devenait vert foncé, mais si la cuisson était insuffisante, le vert pre­nait une teinte grisâtre. L'empereur Chen-tsong (1067-1085) de la dynastie Song souligna la supériorité de cette por­celaine verte: Bleu-vert comme le ciel, réfléchissant les objets aussi fidèlement qu'un miroir, ayant la délicate finesse du papier et sonnant comme le jade.

«L'une de nos spécialités est une repro­duction des porcelaines du four Yeou, vertes comme les fèves. On nous commande sou­vent des copies d'oeuvres de ce four. Ce qui a le plus de succès sur le marché, ce sont ces tasses vertes classiques imitant le bois de bambou.»

La combinaison du rouge rosé et de l'écarlate avec le vert et le blanc, pouvant suggérer comme on l'a écrit alors un nuage pourpre dans le ciel bleu a été la grande oeuvre du four Tchouen. Avant la dynastie Song, les modifications inso­lites qui se produisaient dans les fours étaient considérées comme des présages démoniaques. Il arrivait alors que l'on procède à des sacrifices humains en jetant une victime dans le four ou que le four qui avait commis l'offense soit en­tièrement détruit. A l'époque des Song, cette supertistion disparut, et les chefs­-d'oeuvre obtenus au hasard des caprices du four furent très admirés.

Ayant étudié les diverses sortes de terre et de vernis, M. Tsaï Siao-fang peut reproduire volontairement une de ces anomalies s'opérant dans le four et très prisée autrefois, couvrant les poteries de fines craquelures comme dans de la glace. Il faut qu'il importe des argiles fines du Japon, de Corée du Sud et d'Eu­rope. Celle du Japon est généralement assez pure et résiste à de hautes tempéra­tures. Celle de Kinmen (ou Quémoy) est plus visqueuse. C'est en exploitant les différences de résistance thermique de tous ces types d'argile et de vernis que l'on peut obtenir cet effet de craquelures. A l'oeil nu, le vernis portant des craque­lures semble être fissuré en morceaux. Mais à la loupe, on s'aperçoit que le vernis n'est constitué que d'une seule pièce.

Sous la dynastie Yuan (ou mongole), les décorations en vernis bleu ciel gra­vées sur un fond blanc, ou le contraire, étaient considérées comme une magni­fique invention. On réalisait cela en fai­sant chauffer de l'oxyde de cobalt dans le vernis même. Si la température était trop élevée, le bleu ciel risquait de disparaître. Si la température étaient trop basse, la couleur virait au noir. Les poteries réali­sées selon cette technique qui nous res­tent aujourd'hui sont pour la plupart en forme d'assiette avec le bord rappelant les pétales de la fleur de lotus et le fond orné de peintures représentant des ca­nards mandarins à aigrette ou neuf dra­gons. Dans la salle d'exposition de M. Tsai Siao-fang, environ le tiers des pièces qu'il a produites ont des décora­tions de ce type.

Oeuvres sorties des fours de M. Tsaï.

«J'ai dépensé cinq mille dollars améri­cains et j'ai échoué trois fois avant de réussir cette paire de lions couchés dont le vernis blanc est gravé de motifs en vernis bleu ciel. En fait, pour ces lions, le plus difficile n'était pas le vernissage, mais l'alliance des diffé­rentes argiles. Nous avions fait une erreur de calcul dans les pourcentages d'argiles à allier. Et la première fois, les deux lions se sont déformés à l'arrière lors de la cuisson. Le deuxième fois, ils se sont effrités. La troi­sième fois, ils se sont fissurés. Après être passés entre les mains de trois maîtres, c'est finalement dans mes mains que ces lions ont vu le jour», reconnaît fièrement M. Tsai Siao-fang.

Une autre réalisation marquante est apparue sous la dynastie mongole, c'est le vernis à cinq couleurs. Ce fut d'abord un vernis à trois couleurs que l'on appli­quait sur les chevaux en terre à l'époque des Tang. Puis sous la dynastie Song, les assiettes en porcelaine étaient également de trois couleurs. Enfin sous les Yuan, on utilisa cinq couleurs. Le bleu foncé comme le saphir, le violet transparent comme l'améthyste et le doré éclatant comme une feuille d'or étaient combinés avec du bleu ciel et du rouge disposé sous le vernis, permettant de créer des motifs particulièrement flamboyants.

Grâce aux nombreuses expériences précédentes, la porcelaine des époques des Ming et des Tsing continua à progres­ser. Dans l'ensemble, la production de poteries de style Yuan en vernis bleu ciel persista sous les Ming. Mais l'argile était plus raffinée et le vernis plus éclatant. Le vernis blanc surtout était plus mince et plus transparent que jamais. Les nuances du rouge disposé sous le vernis pouvaient varier du rouge de fleur de pêcher au rouge du coucher de soleil. Il semble qu'à Taïwan ce soit M. Tsaï Siao-fang qui réussisse le mieux ce rouge sous le vernis.

La couleur est l'une des grandes réussites de l'époque Tsing (ou mand­choue), époque où apparurent trente-six nouvelles teintes. En outre, les motifs de décoration s'enrichirent de nombreux symboles de paysages chinois, de scènes de jeux d'enfants, de papillons, de paons faisant la roue, etc. M. Tsaï Siao-fang explique que les porcelaines de la dynas­tie mandchoue étaient des pièces réali­sées avec une grande habilaté, difficiles à imiter dans le détail. Il ajoute que ses col­lègues et lui sont aujourd'hui bien dé­cidés à tenter l'impossible pour y parvenir ■

 

Les pièces en porcelaine sont le produit de l'art et de la science.

La salle d'exposition des ateliers de la Siao-fang.

 

 

 

 

 

 

 

Vases multicolores, chefs-d'oeuvre de céramique et de peinture.

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